Voitures à l’amiante : un décret qui fait long feu…
Fin novembre 2001 un décret voté quatre ans plus tôt par la Commission européenne s’est rappelé au souvenir du Ministère du travail et des affaires sociales.
Entré en vigueur au 1er janvier 1997, il interdit “la fabrication, la transformation, la vente, l’importation, la mise sur le marché national et la cession à quelque titre que ce soit de toutes variétés de fibres d’amiante et de tout produit en contenant”. Dans son article 7, ce décret précise, “à titre transitoire, jusqu’au 31 décembre 2001, l’interdiction de détention en vue de la vente, de mise en vente, de cession à quelque titre que ce soit ne s’applique pas aux véhicules automobiles d’occasion […], mis en circulation avant la date d’entrée en vigueur du présent décret”.
Véritable bombe à retardement, ce décret signifie que près de 16 millions de véhicules construits avant 1997 (sur les 28 millions que compte le parc automobile français) sont potentiellement interdits à la vente sans “désamiantage” préalable. En revanche, leurs propriétaires ont tout loisir de les conserver et de les utiliser en l’état !
Un décret de nature à entraîner une chute libre du marché automobile par blocage de celui de l’occasion.
En théorie, désamianter une voiture (remplacer plaquettes de freins, garnitures d’embrayage et joint de culasse, seules pièces susceptibles d’en comporter) coûte une petite fortune (aux alentours de 1 500 e suivant les modèles). Dans la réalité, pour les plaquettes de freins qui se changent en moyenne tous les 35 000 km, le problème a déjà été réglé par leur remplacement. Pour les disques d’embrayage, qui se changent aux alentours de 150 000 km, c’est plus rarement le cas. Or, si les plaquettes peuvent, en s’usant par friction, rejeter d’infimes particules d’amiante, les embrayages, enfermés dans des carters semi-clos, posent essentiellement problème lors du démontage pour les mécaniciens. Quant aux joints de culasse, coincés entre deux épaisseurs de métal, ils ne peuvent émettre de particules nocives.
Un faux problème ?
L’amiante automobile menace d’autant moins la santé publique que l’ensemble des constructeurs ne l’utilise plus dans les plaquettes de freins, les garnitures d’embrayage ou les joints de culasse depuis 1995, voire même depuis 1982 pour les plaquettes chez Saab et depuis 1984 pour les joints de culasse et les plaquettes chez Volvo (voir tableau). Quant à la réparation indépendante, elle n’utilise plus de pièces de remplacement comportant de l’amiante depuis 1996… autant dire que le décret n’a quasiment plus de raison d’être en matière automobile !
Qui va désamianter ?
Peut-on considérer qu’il est urgent d’attendre, comme l’a conclu le législateur en repoussant au 1/1/03 l’application du décret en France ? Durant cette période, tout propriétaire d’un véhicule concerné pourra théoriquement le revendre. Mais à condition de trouver un acheteur pour un véhicule qui ne pourra être cédé sans un coûteux désamiantage passé cette date (1er janvier 2003). Entretemps, un deuxième décret aura fixé les modalités du désamiantage. Qui en sera chargé ? Répondre à cette question, c’est conclure que cette opération gagnerait à être repoussée… à la mise au rebut des voitures concernées. En effet, il y a 437 000 salariés dans le secteur de la réparation automobile répartis dans 93 000 établissements. Est-il envisageable d’équiper tous les mécaniciens de ces entreprises des coûteux moyens de protection (masques à cartouches et combinaisons) requis pour dépoussiérer un carter d’embrayage ou gratter les résidus d’un joint de culasse ? N’est-il pas plus réaliste d’en charger les 1 200 entreprises de démolition dont la vocation première est de démonter, désassembler les véhicules en fin de vie et d’en neutraliser les résidus polluants ? Une telle solution permettrait également de ne pas se demander qui fournira les certificats de désamiantage indispensables à la revente, certificats qui risqueraient de donner lieu à toutes sortes de trafics.
En tout état de cause, l’Etat devra trancher en ayant présent à l’esprit que bon nombre d’automobilistes utilisent quotidiennement des voitures en état correct, mais dont la cote ne dépasse guère 3 000 e. Leur imposer et leur faire payer un désamiantage à 750 ou 1 500 e, c’est souvent les condamner à mettre la voiture au pilon. Une situation d’autant plus ubuesque que la directive européenne laissait aux Etats membres jusqu’au 31 décembre 2004 pour sa mise en application. Un délai qui aurait pu être utilisé pour mettre en œuvre une méthode et des moyens d’action réalistes et efficaces.